Les ordres de chevalerie, limités par de sévères conditions de nombre et de naissance étaient de prestigieuses faveurs politiques entre les mains du souverain. Ils ne lui permettaient pas, en revanche, de témoigner sa gratitude aux nombreux fidèles et vaillants serviteurs qui bataillaient à son service. La carrière des armes, au fil des temps, avait cessé d’être réservée à la noblesse, et le besoin se faisait sentir d’une marque de reconnaissance plus large. En outre, la prise en considération du devenir des invalides de guerre posait un réel problème que déjà Henri III et Henri IV avaient tenté de résoudre en créant des hospices.

L’ordre royal et militaire de Saint-Louis

5 avril 1693 : Création

Louis XIV reprit les projets de ses prédécesseurs en dissociant les objectifs recherchés. En 1670, il créa l’hôtel royal des Invalides, véritable maison de retraite pour soldats de tous grades. Le 5 avril 1693, sur les conseils du maréchal de Luxembourg, alors commandant en chef de l’armée des Flandres, il institua l’ordre royal et militaire de Saint-Louis pour galvaniser les officiers nobles et roturiers qui combattaient une bonne partie des armées européennes coalisées au sein de la Ligue d’Augsbourg.

Structure

L’ordre de Saint-Louis illustre une transformation profonde des principes mêmes des ordres de chevalerie. Les seuls titres exigés du futur chevalier étaient sa vaillance assortie d’une durée déterminée de services (dix ans) et le nombre de récipiendaires était illimité. L’attribution à titre exceptionnel de la croix de Saint-Louis pour action de bravoure n’apparut qu’en 1779 dans un édit de confirmation de l’Ordre émanant de Louis XVI. Toutefois, cette institution à caractère démocratique porta toujours la marque de son temps : nul ne pouvait entrer dans l’Ordre s’il n’était officier et de religion catholique. Et en 1750, Louis XV édicta qu’un chevalier de Saint-Louis roturier pouvait être anobli dès lors qu’il comptait deux ascendants en ligne directe décorés de même.

Les grades

Afin de tenir en haleine le mérite et de nuancer la marque d’honneur en fonction de l’importance des services rendus, une diversification fut introduite au détriment du principe chevaleresque d’égalité entre les membres de l’Ordre : un nombre restreint et étroitement contingenté de commandeurs (24 à l’origine, augmenté progressivement et porté à 80 en 1779) et de grands-croix (8 à l’origine, augmenté progressivement et porté à 40 en 1779) vint compléter les rangs des chevaliers, dont les distinguait le mode d’arborer l’insigne.

Les chevaliers le portaient à la boutonnière, les commandeurs en écharpe, et les grands-croix avec une plaque. Selon les statuts de création, tous les membres de l’Ordre devaient être pensionnés. Dans la pratique, pour limiter les conséquences économiques de cette règle, Louis XIV limita l’application de cette mesure dès 1694.

Modalités d’admission

Le roi, en tant que chef souverain et grand maître, nommait les chevaliers parmi les candidats proposés à l’admission, les commandeurs parmi les chevaliers et les grands-croix parmi les commandeurs. Nul ne pouvait être admis dans l’Ordre qu’avec le grade de chevalier, sauf les princes de sang royal. Une fois nommé, le candidat recevait une lettre d’avis. Muni de celle-ci, il devait être reçu par le roi ou un membre de l’Ordre agréé par lui. Au cours de la cérémonie, il jurait de vivre et mourir dans la religion catholique, de rester fidèle au roi, de défendre ses droits et ceux de la Couronne, et conformément à l’éthique chevaleresque médiévale, de se comporter « en tout comme un bon, sage, vertueux et vaillant chevalier ». Puis le roi ou son représentant frappait le chevalier d’un coup de plat de son épée sur chaque épaule, lui donnait l’accolade en prononçant la phrase : « Par Saint-Louis, je vous fais chevalier », et enfin lui remettait la croix. Au terme de la cérémonie, une mention spéciale était inscrite sur le repli de la lettre d’avis, qui faisait alors office de brevet. Les diplômes avec encadrement et armoiries imprimées n’apparurent que sous la Restauration (ordonnance du 22 mai 1816). L’ordre de Saint-Louis, gage de services éclatants et fidèles, est la première manifestation d’un changement dans la philosophie des ordres princiers. Á ce titre, il est à l’origine d’une évolution qui, après la tourmente révolutionnaire, permettra la création d’un ordre de mérite universel, et moderne, capable de traverser l’histoire pour être aujourd’hui encore la principale référence en matière de distinction : la Légion d’honneur.

De fait, Bonaparte s’en inspira très largement, en lui empruntant notamment deux principes fondamentaux : la graduation et l’avancement par étapes dans la hiérarchie.

Histoire

La première promotion fut signée par Louis XIV le 8 mai 1693. Elle comprenait 8 grands-croix (dont Vauban), 24 commandeurs et 128 chevaliers (dont le maréchal d’Estrées), reçus le 10 mai à Versailles lors d’une cérémonie fastueuse. Á partir de cette date, l’histoire de l’Ordre se confond avec l’histoire militaire de la France, regroupant de grands noms à côté de ceux qui n’ont pas franchi le temps. L’un d’eux est resté célèbre, tant pour le courage de son porteur que pour l’originalité de sa personnalité. Charles d’Éon de Beaumont, dit le chevalier d’Éon (1728-1810), officier de cavalerie et agent affilié au Secret du roi, fut admis dans l’ordre de Saint-Louis en 1763 comme capitaine au régiment des dragons d’Autichamp. L’ordre de Saint-Louis fut un des moteurs de l’effort militaire qui caractérisa les trente dernières années du règne du Louis XIV. Pour en préserver toute la valeur, le Roi-Soleil le distribua avec une sage parcimonie : moins de 2000 croix. Bonaparte, officier dans les armées royales, en connaissait tout le prestige et y voyait une des raisons du succès de la guerre de succession d’Espagne. « Ce puissant auxiliaire enfanta des prodiges de valeur », aurait-il dit peu avant de créer la Légion d’honneur. L’argent n’était d’aucun prix auprès de cette distinction.

D’essence démocratique, l’ordre de Saint-Louis ne fut pas concerné par le décret du 30 juillet et la loi du 6 août 1791 qui abolissaient les ordres royaux. Renommé « Décoration militaire » et fondu avec l’institution du Mérite militaire créée en 1759 par Louis XV en faveur des officiers protestants étrangers, il fut adapté aux exigences du temps : son serment et les clauses religieuses d’admission furent abrogées. Malgré ces mesures, le décret du 15 octobre 1792 le supprima et celui du 19 novembre 1793 déclara suspect tous les citoyens qui n’auraient pas déposé leur croix aux municipalités. L’Ordre continua cependant d’être distribué en émigration par le comte de Provence, d’abord au nom de Louis XVII, puis en son nom propre, Louis XVIII, à la mort du Dauphin (8 juin 1795).

La charte du 4 juin 1814 rétablit en France les ordres royaux tout en conservant la Légion d’honneur. Louis XVIII s’efforça de donner la prééminence sur celle-ci à l’ordre de Saint-Louis par l’éclat des promotions et les préséances accordées. Par ailleurs, soucieux de rallier les cadres impériaux, comme de récompenser les fidèles des mauvais jours, il multiplia les nominations dans les premiers temps de son règne, puis, en 1820, durcit les conditions d’admission en portant à vingt-quatre ans les annuités nécessaires pour entrer dans l’Ordre.

En vain. Dans le cœur des Français, la Légion d’honneur, auréolée de l’épopée impériale, était placée au-dessus de l’ordre de Saint-Louis et les officiers persévéraient à la demander.

Juste avant son abdication (2 août 1830), Charles X signa les dernières promotions en faveur de trois officiers pour leur conduite lors de la prise d’Alger. Ces derniers ne furent jamais reçus. Par la charte constitutionnelle du 14 août 1830, Louis-Philippe, roi des Français maintint la Légion d’honneur, en ne faisant aucune allusion aux ordres royaux. Il ne distribua donc pas l’ordre de Saint-Louis, mais en autorisa le port en invitant les titulaires à rogner les fleurs de lis qui anglaient l’insigne (ordonnance du 21 février 1831).

La croix

L’insigne de l’ordre de Saint-Louis reprenait la forme générale des croix des ordres royaux, à savoir une croix de Malte ornée au centre de motifs spécifiques. L’avers est orné de l’effigie en pied de Saint-Louis cuirassé d’or, couvert d’un manteau bleu fourré d’hermine, tenant de la main droite une couronne de laurier et de la main gauche les reliques de la Passion, posée sur un fond d’émail rouge parsemé de clous et entouré d’un listel bleu portant la légende entourée de la légende « Ludovicus instituit 1693 ».

Au revers, la devise de l’Ordre due à Boileau : « Bellicae virtutis praemium » (récompense de la vertu militaire) environne une épée en pal passée dans une couronne de laurier. C’est la première fois qu’apparaissent le nom du fondateur et la date de création sur l’insigne d’un Ordre. Cette nouveauté fit école en Europe. Au fil du temps, les motifs centraux lièrent de plus en plus étroitement la décoration au fondateur, Bonaparte couronnant cette évolution par la décision de placer sa propre effigie au centre de la Légion d’honneur.

Modèles de croix de Saint-Louis

S’il n’exista jamais qu’un seul modèle officiel de croix, d’un module plus grand pour les commandeurs et les grands-croix, la multiplicité des fabricants, ajoutée à l’imprécision des textes réglementant la forme de la décoration, engendra une grande variété dans le dessin et la taille des insignes, que certaines caractéristiques permettent de dater :

Louis XIV (1693-1715) : centres circulaires et très bombés, émaux en champlevés, croix fondues épaisses et de fabrication soignée, bélière simple.
Régence (1715-1723) : centres ovales encore très bombés, bélière simple le plus souvent.
Louis XV (1723-1760) : les plus beaux modèles de toute l’histoire de l’Ordre : bélière ouvragée, émaux éclatants (champlevé abandonné), effigie de Saint-Louis parfois en relief. Les demi-tailles font leurs apparitions.
Fin Louis XV et Louis XVI (1760-1792) : bélière en demi-fleur de lis ou en forme de feuillage, croix moins épaisses, centres presque plats.
Restauration (1814-1830) : période de production de masse. Croix munies de nombreux éléments frappés, donc plus légère. Émaux fragiles. Monarchie de Juillet (1830-1848) : fleurs de lys rognées.

Le ruban

Le ruban de l’Ordre est « couleur de feu ». Le ruban des chevaliers, simple à l’origine, s’orna d’une rosette, d’abord réservée aux chevaliers pensionnés. L’édit de 1779 accorda le droit aux chevaliers nommés pour action d’éclat à titre exceptionnel de porter le ruban rouge rayé de blanc. Ce privilège fut peu utilisé. La couleur rouge fut reprise par la Légion d’honneur et l’usage de la rosette fut adopté par les officiers de l’ordre impérial.

La plaque

Selon les textes, la plaque était une « croix à huit pointes boutonnées recouvertes de paillettes d’or et portant au centre un Saint Louis pareil à celui des croix, le tout brodé en or. », portée sur l’habit et le manteau. Malgré les règlements, il exista quelques plaques en argent.

Vers le milieu du XVIIIe siècle, apparurent des plaques comportant des éléments métalliques (lis des angles, centre). Sous la Restauration, les plaques entièrement métalliques se généralisèrent, le plus souvent en vermeil. Jusqu’à sa mise en sommeil, l’Ordre exigea la restitution des insignes après le décès des titulaires.

Page réalisée avec l’aimable accord du Musée National de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie

Photographies Musée de la Légion d’honneur / Fabrice Gousset